MAMUITUN

15 août 2018 | Laissez un commentaire
Par Marco Calliari

Quand l’italien rencontre les premières nations

Début janvier 2018, j’ai eu le privilège d’être invité dans une résidence de création entre allochtones et autochtones.

Jusqu’à ce jour, mon contact avec les Premières Nations avait été assez limité, même si mon respect envers eux et envers leur culture si méconnue était installé en moi depuis toujours. Peut-être est-ce dû au fait que mon histoire de fils d’immigrants me sensibilisait à ce sentiment que j’avais toujours senti chez mes parents d’être en terre étrangère…

Cette semaine riche en partage m’a bouleversé profondément et m’a amené à une réflexion profonde sur leur histoire trop peu connue, et sur notre devoir en tant qu’allochtones. Ce manque de connaissances de cette culture m’apparaît être un manque de respect des plus troublants.

Mamuitun, le nom du projet qui signifie « partage » en innu, se déroulait dans le magnifique Domaine des Pins, à Sainte-Lucie-des-Laurentides. Le concept, imaginé par Kathia Rock, chanteuse autochtone de la Première Nation innue du Québec, était de regrouper dans un environnement propice à la création un groupe d’artistes autochtones et allochtones. Le défi était de jumeler ces artistes dans le but d’écrire une chanson dans leur langue respective, et d’enregistrer ces créations pour en faire éventuellement un album.

Jour 1 – Conférence par Caroline Nepton-Hotte

Au cours de la première journée, j’ai assisté à la conférence donnée par Caroline : un exposé de deux heures sur l’histoire des Premières Nations. La plupart des artistes allochtones présents, y compris moi-même, auraient volontiers passé la semaine à écouter la conférencière. D’abord, parce que j’ignorais la moitié des informations qu’elle nous transmettait, puis parce que cette ignorance me perturbait au point de me sentir coupable d’habiter une terre où j’étais confortablement installé sans avoir demandé la permission à qui que ce soit.

Jour 2 – Début de création et sweat lodge

La journée a commencé avec notre premier cercle de partage. Les cercles font partie des grands principes qui sous-tendent la vision du monde et le système de croyances des autochtones, puisqu’il représente la communion, l’égalité et la continuité. Les cercles sont inclusifs et non hiérarchiques. Notre cercle de partage animé par Louise Poirier (artiste musicienne et accompagnatrice de Kathia Rock), avait pour sujet la représentation de la musique sur notre vie. Au-delà des partages tant intimes, qu’émotifs et vibrants, il y avait plein de synchronicités frappantes qui m’amenaient à songer que la vie fait bien les choses pour qui sait être sensible! J’ai entre autres réalisé que mes parents avaient loué un chalet sur le Domaine des Pins il y a 50 ans de ça, à l’endroit même où je me trouvais en cet instant : deux semaines entre amis, tous nouveaux immigrants italiens, à faire la fête avec une dame-jeanne de vin maison, et ce, sur une terre dont ils ne connaissaient pas l’histoire. Du moins, pas la vraie!

 

En me rappelant ce fait, j’ai réalisé l’ampleur de cette ignorance. C’est à ce moment précis de ma résidence de création qu’il y a eu une sorte de cassure en moi.

Le reste de la journée a été consacré à vivre l’expérience d’un sweat lodgeselon les traditions autochtones. En m’y rendant avec mon camion et sept des participants, dans un virage un peu serré, nous avons pris le fossé bordé de neige. Personne de blessé. En attente du remorquage, je me surprenais de la zénitude qui m’habitait. Malgré cet imprévu qui risquait de me faire manquer l’expérience de ma vie, je voyais dans ces nouvelles amitiés une fraternité et une solidarité fortes et sincères.

Une fois mon camion remorqué, nous nous sommes rendus au sweat lodge. Arrivés sur le lieu sacré où nous allions vivre une des plus fortes expériences de nos vies, les participants avaient déjà été informés du protocole traditionnel, et avaient reçu la purification par la responsable. Nous nous dirigeons devant la tente du sweat lodge.Allan Harrington, notre guide spirituel, nous explique le fonctionnement avant d’entrer. J’entre avec candeur et curiosité, je m’installe, et je commence à sentir cette chaleur de vapeur intense. Tambour, pleurs, partage, pleurs, chants, histoires, pleurs et beaucoup, beaucoup de chaleur : j’ai été submergé de puissantes énergies indescriptibles. Tout ça durant presque quatre heures.

Tous un peu engourdis, à fleur de peau, zen et remplis d’un je-ne-sais-quoi, nous rentrons au camp.

Jour 3 – Recherche et création, et plus encore

Cette journée deviendrait une des plus importantes pour moi durant ce voyage à travers émotions et défis. Le défi de composer une chanson dans nos langues respectives avec ma partenaire devenait une course contre la montre. Surtout en constatant que toutes les autres équipes avaient terminé leur création.

Entre les échanges musicaux, les séances photos, l’enregistrement de la chanson de groupe composée par Louise Poirier, et les entrevues radio, journaux et télé… notre chanson n’avançait pas, ou que trop peu.

Avant de partager un souper, un jamd’une intensité et d’une force indescriptibles s’est tenu dans le chalet principal. Que du beau! Juste assez beau pour me donner des ailes et me convaincre d’aller travailler une nouvelle chanson pour en faire un duo avec Kathia Rock.

Il est minuit : GO!

Par solidarité et compassion, on cognait à ma porte pour se porter à mon secours. Mais j’insistais : je voulais écrire cette chanson seul, avec moi-même, et malgré les obstacles que j’avais dû affronter pendant ma semaine. Finalement, c’est à deux heures du matin que j’ai mis la dernière note à « ma chanson ». Devinez le sujet de ma chanson ? Une demande de pardon au nom de mes ancêtres envers les autochtones, chanson écrite dans la langue de mes parents, l’italien, et saupoudrée d’innu par Kathia Rock.

Jour 4 – Enregistrement

Je peaufine finalement ma nouvelle création avec Kathia pour y insérer quelques phrases-clés en innu et hop! Le résultat est convaincant.

Journée importante pour moi : j’enregistre finalement une chanson. Ouffa!

Le voyage fut long et pénible, mais j’y suis arrivé.

Le soir, après le souper, tout le monde est d’avis qu’il faut absolument faire l’écoute de nos créations dans l’ordre où elles ont été immortalisées par notre fabuleux réalisateur, François Lalonde, en plus de se les faire conter une à une avant chaque écoute.

Quel beau voyage de cultures musicales nous avons vécu! D’une chanson à l’autre, nous étions tous très touchés de nos créations remplies de collectivité et de métissage. Comme si notre travail devenait plus qu’important dans la compréhension de nos Premières Nations et de l’immigration. Disons qu’il s’est passé quelque chose de fort en nous tous. Et le plus beau, c’est que tout ça, est sur bobine.

Après notre écoute, tous remplis de satisfaction et de joie, nous voilà réunis dans un chalet pour un dernier jambien dosé entre artistes exceptionnels, tous plus colorés les uns que les autres et d’une richesse incroyable. Tour à tour, nous voilà à pousser nos chants bien singuliers, portant la marque de notre bagage respectif issu de nos racines.

On passait du chant de gorge au raï, du mariachi à la chanson folk québécoise, de la chanson napolitaine à la fista brésilienne : il y avait de tout! On aurait dit… un début de pow-wow!

Jour 5 – Retour vers Montréal

Semaine riche en émotions, elle se devait de se terminer à la hauteur de l’expérience que nous avions vécue. Allan, le chaman, remit à Kathia Rock une plume qui symbolisait son travail et sa persévérance dans ce vrai partage entre les Premières Nations et nous, enfants du monde d’ici et d’ailleurs, dans un rituel autochtone. Moment très fort et émouvant, qui concluait parfaitement cette semaine intense.

Conclusion

Je suis extrêmement touché et reconnaissant d’avoir fait partie de la première cuvée de cette riche expérience en partage. Vivre dans un endroit clos avec plusieurs êtres humains pendant plusieurs jours fut une expérience en soi! Amalgamer des cultures et des bagages différents en fut une autre. Avoir été loin de ma fille et de ma blonde pendant tout ce temps a surement aussi contribué à me faire brailler ma vie pendant plusieurs jours. Chose certaine, je repars du Domaine des Pins avec une brisure et un nouveau regard.

Cette brisure, c’est celle d’avoir l’impression de mieux connaitre l‘histoire des Premières Nations. Nous ne faisons pas les choses correctement parce que nous sommes ignorants de leur histoire. Nous n’en connaissons que des bribes minutieusement sélectionnées.

Et un nouveau regard par ma prise de conscience : d’abord, que cette expérience changera ma vie à jamais; que je ne verrai plus les choses de la même façon; et finalement, que je souhaite que ma demande de pardon soit lancée en musique puisque c’est la meilleure façon pour moi de m’exprimer dans l’univers, et que j’ai l’espoir qu’elle vibrera dans le cœur de ce peuple.

Mamuitun est un projet qui devrait être un programme gouvernemental et ouvert à toutes les provinces du Canada. Merci, Mamuitun, de m’avoir permis de vous connaitre, de m’avoir permis de vous demander pardon, de m’avoir fait grandir un peu plus.

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